Je suis toujours partante si on ira vers les paysages simples. Vers les villages. Vers les visages. —Agnès Varda
Ayant près de 90 ans et étant presque aveugle, la cinéaste nouvelle vague Agnès Varda reste aussi créative, curieuse et intuitive que jamais. Sa fascination infinie pour les gens, leurs visages et leurs histoires, a inspiré son dernier documentaire: Visages, Villages. Une autre inspiration était son désir de finalement collaborer avec un autre artiste. Elle avait toujours voulu collaborer mais l'occasion juste ne s'est jamais présentée jusqu'ici. L'inspiration est arrivée sous la forme d'un photographe et street artist qui porte toujours des lunettes noires nommé JR.
Leur collaboration est devenue un road trip bavard, un processus de réalisation de film ainsi que le sujet du film. Les deux artistes se sont mis en route dans la fourgonnette magique de JR, équipée d'un photomaton et d'une imprimante grand format en noir et blanc. Ils voulaient voyager dans les régions oubliées de la campagne française pour voir les gens, entendre leurs histoires et laisser quelque chose derrière eux.
Leur premier arrêt a été un village minier dans le nord de la France, une région dévastée et délaissée par l'ère post-industrielle aux rythmes effrénés. S'arrêtant pour regarder une longue rue de maisons en briques construites pour des mineurs d'autrefois qui devaient maintenant être démolies, ils frappèrent aux portes en espérant trouver quelqu'un pour les aider à comprendre ce que cela signifiait pour les villageois. La première porte qu'ils ont frappée s'ouvrite lentement mais claqua plus vite. Finalement, ils ont rencontré une femme qui était devenue à contrecœur une légende locale d'aujourd'hui. Oui, elle avait reçu son avis d'expulsion. Non, elle ne partirait pas. Ils lui ont demandé de les présenter aux mineurs retraités qui sont restés dans le village. Après avoir écouté leurs histoires, dont beaucoup étaient des récits multigénérationnels de la vie
sombre et dangereuse, sans parler de l'exploit, dans les mines, ils ont consenti Ă ce que leurs photos soient prises.
C'est là que la fourgonnette magique devient un personnage dans l'histoire. En quelques minutes, les photographies grand format émergent de la camionnette. JR et son équipe érigent des échafaudages devant les maisons en brique, dont beaucoup sont maintenant vides, et, à la stupéfaction et à la fascination des habitants, collent les photographies géantes sur le façade des bâtiments en guise d'hommage.
En continuant, ils ont accédé à une usine de traitement des minerais hautement industrialisée qui fonctionne avec trois équipes différentes, 24 heures sur 24. Employant la même méthode, ils ont d'abord parlé avec les ouvriers et leur ont demandé de poser, cette fois-ci en groupes, les bras levés au-dessus de la tête et tendus vers la diagonale. Les photos résultantes ont été collées aux murs du tunnel qui mène à l'intérieur et à l'extérieur de l'usine.
S'aventurant dans les terres agricoles françaises, ils ont rencontré un fermier qui a travaillé ses propres 200 hectares ainsi que mille hectares appartenant à ses voisins, tout seul. Aidé par son tracteur technologiquement sophistiqué, il a parlé en termes simples mais poétiques de son travail solitaire, de son admiration pour la technologie et de sa fierté quant à son rôle dans l'intendance de la terre. Vous l'avez peut-être déjà deviné, sa photo géante a été collée sur le côté de sa grange.
Ne devenant jamais explicitement politique ou polémique, mais simplement curieux de connaître les gens, Varda raconte leurs histoires et poésie pour illustrer les luttes des travailleurs pauvres et le destin des villages abandonnés par l'industrie. La mélancolie était toujours présent.
Explorant autour d'une ferme de chèvres modernisée, ils sont surpris de voir que les plus jeunes chèvres avaient des cornes, mais les plus âgés ne les ont plus. Lorsqu'on lui a demandé, l'agriculteur a expliqué que les cornes doivent être brûlées pour éviter les bagarres entre les chèvres qui sont naturellement agressives. Leurs mamelles attachées à des machines en acier inoxydable, chacune des chèvres est débarrassée de son lait, et le fromage est fabriqué dans une cuisine stérilisée ressemblant à un laboratoire.
Au cours d'une visite d'une ferme voisine et beaucoup plus rustique, entretenue par une femme qui a clairement vivait en plein air, Varda élabore une vignette nuancée sur les méthodes plus simples de garder et de soigner les chèvres. Cornes intactes, ce troupeau circule librement à travers les champs. Ayant trouvé les machines plus ennuyeuses qu'elles ne valent, cet agriculteur a préféré traire à la main. Interrogée sur la pratique de brûler les cornes, elle affirme catégoriquement que cela n'est nécessaire que pour maximiser les profits en pacifiant et en surchargeant les animaux.
Varda et JR sont assis devant une chèvre cornue qui orne une autre grange après avoir fini leur histoire sur les défis de l'élevage des chèvres moderne et anciennes. Aucune voix-off didactique sur les coûts cachés de l'industrialisation et du capitalisme pour Varda. Juste des gens qui réfléchissent sur leur vie et leur travail.
|
Dans une interview filmĂ©e Ă la rĂ©sidence de longue date de Varda dans le 14ème arrondissement de Paris, le cinĂ©aste et photographe-pilote-street artist ont parlĂ© de l'intersection de leur travail. Varda accorde une grande valeur aux personnes qu'elle rencontre. Les gens dans la rue, les gens partout. Sa vision consiste Ă rĂ©vĂ©ler ces gens lorsqu'elle vient Ă les connaĂ®tre—en tant qu'ĂŞtres uniques et prisĂ©s—aux autres qui n'auraient autrement pas l'occasion d'entendre ces histoires. JR, selon Varda, souligne l'hĂ©roĂŻsme dans chacun de ses sujets par la grande Ă©chelle de leurs photographies et leur placement proĂ©minent sur des structures emblĂ©matiques.
Alors que le film se poursuit, on apprend des petits morceaux de biographie pour illuminer Varda et JR et aussi leur relation inhabituelle. La grand-mère très âgée de JR est présentée et des amis du passé de Varda sont convoqués. Une photo vieille de soixante ans de l'un de ses amis, le défunt photographe de mode Guy Bourdin, a fait l'objet d'une autre installation. Le duo s'est embarqué dans un voyage en train pour voir l'ami de longue date de Varda, le cinéaste Jean-Luc Godard. Cette finale touchante révèle beaucoup plus sur Varda et JR que l'illusoire Godard.
Visages Villages est un film de deux raconteurs généreux qui voient le meilleur des gens et qui laisse derrière eux une photographie murale pour tous les passants à contempler, aussi longtemps que ça dure. Comme un homme a dit quand il a vue une des murales: "C'est surprenant, n'est-ce pas? Mais l'art est pour surprendre, non?"
CrĂ©dits photo: © Agnès Varda
|